17

Wallander quitta l’appartement de Lars Magnusson au bout de plus de deux heures de vaines tentatives pour poursuivre une conversation sensée. Il n’avait qu’une envie : rentrer chez lui et s’allonger dans sa baignoire. La dernière fois, il n’avait pas remarqué la crasse accumulée chez Magnusson. Mais cette fois-ci, sa déchéance lui avait sauté aux yeux. Quand Wallander était arrivé, la porte d’entrée était entrebâillée. À l’intérieur de l’appartement, Magnusson était allongé sur son canapé tandis qu’une cafetière débordait dans la cuisine. Il avait accueilli Wallander en lui disant d’aller au diable. De disparaître et d’oublier qu’il y avait quelqu’un qui s’appelait Lars Magnusson. Mais Wallander était resté. Il avait interprété le café qui bouillait sur la cuisinière comme le signe que Magnusson avait malgré tout songé un instant à passer outre son habitude de ne parler à personne en milieu de journée. En vain Wallander avait cherché deux tasses propres. L’évier était plein d’assiettes sur lesquelles des restes et du gras s’étaient figés en d’étranges protubérances fossiles. Il avait fini par dénicher deux tasses qu’il avait lavées et apportées dans la salle de séjour. Magnusson était vêtu d’un short sale. Il n’était pas rasé et tenait entre ses mains une bouteille de vin doux, comme s’il se cramponnait à un crucifix. Au début, cette déchéance avait mis Wallander mal à l’aise. Ce qui le dégoûtait le plus, c’était de découvrir que Lars Magnusson perdait ses dents. Puis l’irritation et la colère l’avaient gagné parce que l’homme avachi sur le canapé semblait ne pas entendre ce qu’il disait. Il lui avait pris sa bouteille et avait exigé qu’il lui réponde. Il n’avait aucune idée de l’autorité qu’il pouvait bien faire valoir. Mais Lars Magnusson avait obéi. Il s’était même, avec un certain effort, hissé jusqu’à une position assise. Wallander avait essayé de pénétrer plus profondément dans ce monde ancien dans lequel Gustaf Wetterstedt avait été un ministre de la Justice entouré de rumeurs de scandales plus ou moins étouffées. Mais Lars Magnusson semblait avoir tout oublié. Il ne se souvenait plus de ce qu’il avait dit lors de la précédente visite de Wallander ; Wallander finit par lui rendre sa bouteille, et, après quelques gorgées, quelques souvenirs ténus lui étaient revenus. Quand Wallander avait enfin quitté l’appartement, il n’était arrivé à obtenir qu’un seul détail intéressant. Dans un moment inattendu de lucidité, Magnusson s’était souvenu qu’un policier de la brigade financière de Stockholm s’était penché sur le cas Gustaf Wetterstedt. Dans le petit monde des journalistes, le bruit avait couru que cet homme — dont Magnusson parvint, au prix d’un certain effort, à se rappeler le nom, Hugo Sandin — avait constitué des archives privées sur Wetterstedt. Selon Magnusson, il n’en était jamais rien sorti. Mais il avait entendu dire qu’une fois à la retraite Hugo Sandin était parti dans le Sud et qu’il habitait maintenant chez son fils, potier du côté de Hässleholm.

— S’il est toujours en vie, avait dit Magnusson avec son sourire édenté, comme si au fond il espérait que Hugo Sandin ait déjà franchi la frontière avant lui.

Wallander décida de rechercher si le policier était toujours en vie. Il songea un instant à rentrer chez lui prendre un bain pour se débarrasser du malaise qu’il avait ressenti dans l’atmosphère confinée de l’appartement de Magnusson. Il était presque treize heures. Il n’avait pas faim du tout, bien qu’il n’ait avalé qu’un petit déjeuner rapide. Il retourna au commissariat, avec l’intention de vérifier tout de suite si Lars Magnusson avait raison, si Hugo Sandin habitait dans la région de Hässleholm. Dans le hall, il se retrouva nez à nez avec Svedberg, qui avait toujours son coup de soleil sur le visage.

— Wetterstedt a été interviewé par une journaliste de MagaZenit, dit Svedberg.

Wallander n’en avait jamais entendu parler.

— C’est un journal destiné aux retraités, répondit Svedberg. La journaliste s’appelle Anna-Lisa Blomgren. Il y avait un photographe avec elle. Comme Wetterstedt est mort, ils ne vont pas publier l’interview.

— Appelle-la, dit Wallander. Et demande les photos au journaliste.

Wallander poursuivit jusqu’à son bureau. Pendant la brève conversation qu’il avait eue avec Svedberg, il lui était revenu un fait qu’il voulait vérifier immédiatement. Il appela le standard et demanda qu’on recherche Nyberg qui était sorti. Un quart d’heure plus tard, Nyberg appela.

— Tu te souviens que je t’avais donné un sac avec un appareil photo dans la maison de Wetterstedt ? demanda Wallander.

— Bien sûr que je m’en souviens, répondit Nyberg d’un ton irrité.

— Je me demandais si le film avait été développé. Je crois qu’il y avait sept clichés.

— Tu ne les a pas reçus ? demanda Nyberg, étonné.

— Non.

— Ils devaient te les envoyer dès samedi.

— Je ne les ai pas reçus.

— Tu es sûr ?

— Ils ont dû rester coincés quelque part.

— Je vais vérifier ça, dit Nyberg. Je te rappelle.

Wallander raccrocha avec le pressentiment que, dans peu de temps, quelqu’un subirait la colère de Nyberg. Il était content que ce ne soit pas lui.

Il chercha le numéro de téléphone du commissariat de Hässleholm et obtint au bout d’un certain moment un commissaire qui lui procura le numéro de Hugo Sandin. À la question directe de Wallander, il répondit que Hugo Sandin avait quatre-vingt-cinq ans, mais qu’il avait encore toute sa tête.

— Il vient encore nous rendre visite une ou deux fois par an, dit le commissaire de police qui se présenta sous le nom de Mörk.

Wallander nota le numéro et le remercia pour sa collaboration. Puis il reprit le combiné et appela Malmö. Il eut la chance de joindre tout de suite le médecin qui avait fait l’autopsie de Wetterstedt.

— L’heure de la mort n’est pas indiquée, dit Wallander. Pour nous, c’est une information importante.

Le médecin alla chercher ses papiers. Il revint au bout d’une minute en présentant ses excuses.

— Malheureusement, ça a dû disparaître du compte rendu. De temps en temps, mon dictaphone a des problèmes. Wetterstedt est mort au plus tôt vingt-quatre heures avant d’être découvert. Nous attendons encore quelques résultats qui pourraient nous permettre de préciser l’heure.

— Bon, alors nous attendrons ces résultats, dit Wallander en le remerciant.

Il alla dans le bureau de Svedberg, qui travaillait à son ordinateur.

— Tu as parlé à cette journaliste ?

— C’est ce que je suis en train de rédiger.

— Tu as eu des indications quant à l’horaire ?

Svedberg chercha dans ses notes.

— Ils sont arrivés chez Wetterstedt à dix heures. Et ils sont restés jusqu’à une heure de l’après-midi.

— Après treize heures, il n’y a donc plus personne qui l’ait vu en vie ?

Svedberg réfléchit.

— Pas que je sache.

— Bon. Donc, ce sera toujours ça que nous saurons, dit Wallander en sortant.

Il allait appeler le vieux policier, Hugo Sandin, quand Martinsson entra dans son bureau.

— Tu as un peu de temps ? demanda-t-il.

— Toujours, répondit Wallander. Qu’est-ce que tu veux ?

Martinsson agita une enveloppe qu’il tenait à la main.

— Cette lettre est arrivée par la poste aujourd’hui. Quelqu’un dit avoir pris une fille en stop de Helsingborg jusqu’à Tomelilla, lundi 20 juin au soir. Il a lu dans les journaux la description de la jeune fille qui s’est suicidée et il pense que c’est elle.

Martinsson tendit l’enveloppe à Wallander qui sortit la lettre et la lut.

— Pas de signature.

— Mais l’en-tête de la lettre est intéressant.

Wallander hocha la tête.

— « Paroisse de Smedstorp », lut-il. Un vrai papier d’église officielle.

— Il va falloir vérifier ça, dit Martinsson.

— Bien sûr qu’il va falloir. Si tu t’occupes d’Interpol et de tout ce que tu as en plus sur les bras, je m’occupe de ça.

— Je n’arrive toujours pas à comprendre que nous ayons le temps de nous occuper d’elle.

— Nous avons le temps parce que c’est nécessaire.

C’est après le départ de Martinsson que Wallander comprit sa critique à mots couverts pour ne pas avoir mis de côté le dossier de la jeune fille morte. Pendant un court instant, Wallander se dit que Martinsson avait raison. En ce moment précis, il n’y avait pas de temps pour autre chose que Wetterstedt et Carlman. Puis il changea d’avis : la critique n’était pas fondée. Il n’y avait pas de limite à ce que la police devait assumer. Il fallait qu’ils aient le temps et la force de tout faire.

Comme pour démontrer que sa conception était la bonne, Wallander quitta le commissariat et prit sa voiture ; il sortit de la ville, en direction de Tomelilla et de Smedstorp. Le trajet lui donna du temps pour réfléchir à Wetterstedt et à Carlman. Le paysage estival dans lequel il roulait fournissait un cadre irréel à ses pensées. Deux hommes sont tués et scalpés, se dit-il. En plus, une jeune fille se rend dans un champ de colza et s’immole par le feu. Et autour de moi, c’est l’été. C’est le moment où la Scanie est la plus belle. Il y a un paradis caché dans chaque recoin de ce monde. Pour le découvrir, il suffit d’avoir les yeux ouverts. Mais peut-être voit-on également les corbillards invisibles qui glissent le long des routes.

Il savait où se trouvait le presbytère de Smedstorp. Quand il eut dépassé Lunnarop, il tourna à gauche. Il savait aussi que le presbytère avait des horaires très particuliers. Mais quand il arriva devant le bâtiment blanc, il aperçut des voitures garées devant. Un homme tondait la pelouse à côté. Wallander mit la main sur la poignée de la porte. C’était fermé. Il sonna et lut que le bureau du pasteur serait ouvert le dimanche suivant. Il attendit. Puis il sonna à nouveau tout en cognant sur la porte. Dans le fond, la tondeuse faisait du vacarme. Wallander allait partir quand une fenêtre du premier étage s’ouvrit. Une femme sortit la tête.

— C’est ouvert le mercredi et le vendredi, cria-t-elle.

— Je sais, répondit Wallander. Mais il s’agit d’une affaire urgente. Je viens de la police d’Ystad.

La tête disparut. La porte s’ouvrit tout de suite après. Une femme aux cheveux blonds, habillée tout en noir, se tint devant lui. Son visage était très maquillé. Elle portait des chaussures à talons hauts. Mais ce qui étonna le plus Wallander, c’était le petit col blanc clérical qui détonnait sur tout ce noir. Il tendit la main pour saluer.

— Gunnel Nilsson, répondit-elle. Je suis le pasteur de la paroisse.

Wallander la suivit dans la maison. Si j’entrais dans une boîte de nuit, j’aurais moins de mal à comprendre, pensa-t-il furtivement. De nos jours, les pasteurs ne sont plus comme je les imaginais.

Elle ouvrit une porte et l’invita à s’asseoir dans le bureau. Gunnel Nilsson était une très jolie femme. Mais Wallander avait du mal à distinguer si le sentiment qu’il éprouvait était lié à sa fonction de pasteur.

— Une lettre est arrivée à la police, commença-t-il. Elle a été écrite sur votre papier à en-tête. C’est pour ça que je suis venu.

Il parla de la jeune fille qui s’était suicidée par le feu. Il remarqua une grande émotion sur son visage. Elle lui expliqua qu’elle avait été malade plusieurs jours et qu’elle n’avait pas lu les journaux.

Wallander lui montra la lettre.

— Avez-vous une idée de qui a pu écrire cette lettre ? demanda-t-il. Qui a accès à votre papier à lettres ?

Elle secoua la tête.

— Un bureau de pasteur, ce n’est pas comme une banque. Et ici, il n’y a que des femmes qui travaillent.

— Rien n’indique dans cette lettre que ce soit un homme ou une femme qui l’ait écrite, fit remarquer Wallander.

— Je ne vois pas qui ça peut être.

— Helsingborg. Y a-t-il quelqu’un dans votre bureau qui habite là-bas ? Ou qui y va souvent ?

Elle secoua à nouveau la tête. Wallander vit qu’elle essayait vraiment de l’aider.

— Vous êtes combien à travailler ici ?

— Quatre, en me comptant. Puis il y a Andersson qui s’occupe du jardin. Et aussi un gardien à plein temps. Sture Rosell. Mais en général, il est dans les cimetières et dans nos églises. N’importe lequel d’entre eux peut avoir pris un papier à en-tête. Plus tous ceux qui viennent ici pour une raison ou pour une autre.

— Et vous ne reconnaissez pas l’écriture ?

— Non.

— Il n’est pas interdit de prendre des auto-stoppeurs, dit Wallander. Alors, pourquoi une lettre anonyme ? Pour cacher qu’on a été à Helsingborg ? Pour moi, cet anonymat est bizarre.

— Je peux me renseigner pour savoir si quelqu’un est allé à Helsingborg ce jour-là. Et je peux aussi essayer de vérifier si l’écriture me rappelle celle de quelqu’un d’ici.

— Je vous en serais reconnaissant, dit Wallander en se levant. Vous pouvez me joindre au commissariat d’Ystad.

Il nota son numéro de téléphone sur un papier qu’elle lui avait tendu. Elle l’accompagna jusqu’à la sortie.

— C’est la première fois que je rencontre un pasteur femme, dit-il.

— Il y a encore beaucoup de gens que ça étonne.

— À Ystad, notre nouveau chef de la police est une femme, c’est la première fois. Tout change.

— En mieux, espérons-le, dit-elle en souriant.

Wallander la regarda : elle était vraiment très belle.

Elle n’avait pas de bague à son doigt. En retournant à sa voiture, il se laissa aller à des pensées interdites. Elle était très attirante.

L’homme qui tondait la pelouse s’était assis sur un banc pour fumer une cigarette. Sans savoir pourquoi, Wallander alla s’asseoir à côté de lui et engagea la conversation. Il devait avoir la soixantaine et portait une veste de travail bleue ouverte et un pantalon de velours sale. Il avait de très vieilles tennis aux pieds. Wallander remarqua qu’il fumait des Chesterfield sans filtre. C’était la marque que fumait son père quand il était petit.

— En général, elle n’ouvre pas quand ça doit être fermé, dit-il avec philosophie. Pour être franc, c’est la première fois que ça arrive.

— Le pasteur est une très belle femme, dit Wallander.

— En plus, elle est sympathique. Et ses sermons sont bons. J’en viens même à me demander si ce n’est pas le meilleur pasteur qu’on ait jamais eu. Mais il y a plein de gens qui auraient préféré avoir un homme.

— Ah bon ? dit Wallander évasivement.

— Oh, il y a beaucoup de gens qui ne peuvent pas imaginer qu’un prêtre puisse être une femme. En Scanie, les gens sont conservateurs. Pour la plupart.

La conversation s’effilocha. C’était comme s’ils avaient tous deux épuisé leurs forces. Wallander écouta les oiseaux. Une bonne odeur montait de l’herbe fraîchement coupée. Il songea qu’il devrait contacter son collègue de la police d’Östermalm, Hans Vikander, pour savoir si quelque chose était sorti de sa conversation avec la mère de Gustaf Wetterstedt. Il avait beaucoup à faire. Et il n’avait pas de temps à perdre à rester assis sur un banc devant le presbytère de Smedstorp.

— Vous aviez besoin d’une attestation de déménagement ? demanda soudain l’homme.

Wallander sursauta comme s’il avait été surpris dans une situation inconvenante.

— Je venais simplement lui poser quelques questions, dit-il en se levant.

L’homme le regarda en plissant les yeux.

— Je te reconnais, dit-il. Tu es de Tomelilla ?

— Non, répondit Wallander. Je suis originaire de Malmö. Mais ça fait plusieurs années que j’habite à Ystad.

Puis il se leva et se tourna vers l’homme pour prendre congé. Il jeta distraitement les yeux sur le tee-shirt blanc qui apparaissait sous la veste ouverte. Un tee-shirt publicitaire de la compagnie de ferries reliant Helsingborg à Helsingör. Sa première réaction fut de mettre ça sur le compte du hasard. Mais il se ravisa et se rassit. L’homme écrasa son mégot par terre et fit mine de se lever.

— Reste un instant, dit Wallander. J’ai quelque chose à te demander.

L’homme avait dû percevoir le changement dans la voix de Wallander. Il le regarda d’un œil soupçonneux.

— Je suis de la police, dit Wallander. En fait, je ne suis pas venu ici pour voir le pasteur. Je suis venu pour te parler. Pourquoi n’as-tu pas signé la lettre que tu nous as envoyée ? À propos de la fille que tu as prise en stop à Helsingborg.

C’était un sacré pari, il le savait. Ça allait à l’encontre de tout ce qu’il avait appris. Il avait enfreint la règle selon laquelle un policier n’a pas le droit de dire un mensonge pour faire jaillir une vérité. En tout cas, pas quand il y a un crime.

Mais le coup avait porté. L’homme sursauta. Il ne s’attendait absolument pas à cette attaque de Wallander. Le coup avait si bien porté que toutes les objections logiques et imaginables semblaient balayées. Comment Wallander pouvait-il savoir qui avait écrit la lettre ? Comment pouvait-il savoir quoi que ce soit ?

Wallander était conscient de tout ça. À présent que le coup avait porté, il pouvait aider son interlocuteur à se relever du tapis imaginaire et le calmer.

— Ça n’a rien d’illégal d’écrire des lettres anonymes, dit-il. De prendre des gens en stop non plus. Tout ce que je veux savoir, c’est pourquoi tu as écrit cette lettre. Et où tu as pris la jeune fille, et où elle est descendue. Quelle heure il était. Et si elle t’a dit quelque chose pendant le trajet.

— Je te reconnais maintenant, marmonna l’homme. C’est toi, le policier qui a descendu un homme dans le brouillard il y a quelques années de ça. Sur le champ de tir à côté d’Ystad.

— Tu as raison. C’est moi. Je m’appelle Kurt Wallander.

— Elle était vers la sortie sud, dit l’homme brusquement. Il était sept heures du soir. J’étais allé acheter des chaussures. Mon cousin a un magasin à Helsingborg. Il me fait des réductions. En général, je ne prends pas d’auto-stoppeurs. Mais elle avait l’air tellement perdue.

— Et qu’est-ce qui s’est passé, alors ?

— Il ne s’est rien passé.

— Quand tu t’es arrêté. Quelle langue est-ce qu’elle parlait ?

— Ça, j’en sais fichtre rien. En tout cas, c’était pas du suédois. Et je parle pas anglais. J’ai dit que j’allais à Tomelilla. Elle a hoché la tête. Elle hochait la tête à tout ce que je disais.

— Elle avait des bagages ?

— Rien.

— Même pas un sac à main ?

— Elle n’avait rien du tout.

— Et donc vous êtes partis ?

— Elle s’est assise à l’arrière. Elle n’a pas desserré les dents de tout le voyage. Je trouvais tout ça bizarre. J’ai regretté de l’avoir fait monter.

— Pourquoi ?

— Peut-être qu’elle n’allait pas du tout à Tomelilla ! Que peut-on bien avoir à faire à Tomelilla ?

— Donc, elle n’a rien dit ?

— Pas un mot.

— Qu’est-ce qu’elle faisait ?

— Ce qu’elle faisait ?

— Elle dormait ? Elle regardait par la fenêtre ? Qu’est-ce qu’elle faisait ?

L’homme réfléchit.

— Il y a un détail qui m’a fait réfléchir après. Chaque fois qu’on nous dépassait, elle se recroquevillait sur le siège arrière. Comme si elle ne voulait pas qu’on la voie.

— Elle avait donc peur ?

— Elle devait avoir peur.

— Que s’est-il passé ensuite ?

— Je me suis arrêté au rond-point à l’entrée de Tomelilla, et je l’ai laissée descendre. Pour être franc, je crois qu’elle n’avait aucune idée de l’endroit où elle était.

— Donc elle ne voulait pas aller spécialement à Tomelilla ?

— Je crois surtout qu’elle voulait quitter Helsingborg. Je suis parti. Mais une fois arrivé presque chez moi, je me suis dit : tu ne peux pas la laisser. Et je suis revenu. Mais elle n’était plus là.

— Ça t’a pris combien de temps ?

— Dix minutes, pas plus.

Wallander réfléchit.

— Quand tu l’as prise en stop à la sortie de Helsingborg, était-elle à l’entrée de l’autoroute ? Pouvait-on imaginer qu’elle avait été amenée en voiture jusqu’à Helsingborg ? Ou venait-elle du centre-ville ?

Il réfléchit.

— Du centre-ville. Si on l’avait déposée en venant du nord, elle n’aurait jamais été là où je l’ai prise.

— Ensuite tu ne l’as plus jamais revue ? Tu n’as pas essayé de la chercher en voiture ?

— Pourquoi l’aurais-je fait ?

— Quelle heure était-il quand tout ça s’est passé ?

— Elle est descendu de la voiture à vingt heures. Je me souviens que c’était le début des informations.

Wallander réfléchit. Il savait qu’il avait eu de la chance.

— Pourquoi as-tu écrit à la police ? Pourquoi as-tu envoyé une lettre anonyme ?

— J’ai lu dans les journaux qu’il y avait cette fille qui s’était suicidée par le feu. J’ai tout de suite eu l’impression que ça pouvait être elle. Mais je voulais éviter de me faire connaître. Je suis marié. Que j’aie pris une autostoppeuse, ça aurait pu être mal interprété.

Wallander sentit que l’homme disait la vérité.

— Cette conversation ne sortira pas de ce carnet. Mais je dois quand même te demander ton nom et ton numéro de téléphone.

— Je m’appelle Sven Andersson. J’espère qu’il n’y aura pas de tracasseries ?

— Pas si tu as tout raconté comme ça s’est passé.

Wallander nota le numéro de téléphone.

— Un dernier détail. Est-ce que tu peux te souvenir si elle portait une médaille ?

Sven Andersson réfléchit. Puis il secoua la tête. Wallander se leva et lui serra la main.

— Tu m’as été d’un grand secours.

— C’est elle ?

— Probablement. Maintenant, la question est de savoir ce qu’elle faisait à Helsingborg.

Il salua Sven Andersson et se dirigea vers sa voiture.

Quand il ouvrit la portière, son téléphone portable se mit à sonner.

Sa première réaction fut de penser que l’homme qui avait tué Wetterstedt et Carlman avait frappé à nouveau.

Le guerrier solitaire
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